Cet ami, ce pire ennemi
Inconnu à cette adresse - Kressmann Taylor
(Livre de poche n° 30111)
"Quatorze ans déjà que la guerre est finie ! J'espère que tu as entouré la date en rouge sur le calendrier. C'est fou le chemin que nous avons parcouru, en tant que peuples, depuis le début de toute cette violence !".
Ainsi parle - ou plutôt écrit - Max Eisenstein, juif américain à son meilleur ami et associé de la galerie d'art Schulse-Eisenstein, Martin Schulse. Parce que Martin Schulse, Allemand, vient de rentrer au pays. Nous sommes en 1932, et chacun est intimement et profondément persuadé que l'Allemagne est devenu un pays démocratique où il fera toujours bon vivre. Martin n'a jamais réussi à s'intégrer dans cette société américaine, malgré la prospérité de leur galerie.
Martin Schulse est optimiste pour ce qui concerne sa nouvelle existence, à Munich. Il a trouvé une somptueuse maison acquise pour un prix dérisoire en raison de la crise économique qui sévit en Allemagne. Bien que les troubles politiques soient de plus en plus fréquents, ils n'inquiètent pas pour autant Martin. "[...] les troubles politiques sont fréquents, même maintenant, sous la présidence de Hindenbourg, un grand libéral que j'admire beaucoup. D'anciennes relations me pressent déjà de participer à la gestion municipale. J'y songe. Un statut officiel pourrait être tout à notre avantage, localement".
Alors que Martin est tout à son bonheur d'avoir retrouvé sa patrie d'origine, Max - quant à lui - craint l'arrivée de cet Adolf Hitler au pouvoir pour la communauté juive en général et pour sa jeune soeur Griselle, en particulier. Il demandera à son ami et frère de le rassurer sur la situation actuelle de l'Allemagne, sur les rumeurs de persécutions, de violences faites aux Juifs. Max lui adjure de dire la vérité. De son côté, Martin commence à croire qu'Hitler est un bienfait pour l'Allemagne. Bien sûr, il se pose quelques questions sur son équilibre psychique. "Mais je m'interroge : est-il complètement sain d'esprit ? Ses escouades en chemises brunes sont issues de la populace. Elles pillent, et elles ont commencé à persécuter les Juifs. Mais il ne s'agit peut-être là que d'incidents mineurs". Mais surtout, les Allemands espèrent à nouveau.
Evidemment, Martin Schulse deviendra membre actif du Parti et se sent enthousiaste quant à la nouvelle politique. Même s'il se demande quelle peut être la personnalité réelle d'Hitler, il garde confiance en l'avenir. "Et je me rallie à lui. Non, comme tu le suggères, parce que, submergé par un courant, je ne peux faire autrement, mais par libre choix. [...] Je ne m'interroge pas sur la finalité de notre action : elle est vitale, donc elle est bonne. Si elle était mauvaise, elle ne susciterait pas autant d'enthousiasme". Et contrairement à ce que croyait Max, Martin n'est pas un libéral. Il ne l'a jamais été. Il a toujours été un patriote allemand. Rien d'autre. De toutes façons, il lui ordonne de ne plus lui écrire chez lui, mais via la banque parce qu'il ne veut plus rien avoir à faire avec les Juifs.
Max Eisenstein entendra et comprendra très bien ce nouveau comportement de son ami. Seulement, l'amitié a, elle aussi, ses limites. Elle sera atteinte quand il s'apercevra que Martin Schulse est devenu un parfait membre du parti national socialiste. Dès lors, un machiavélique guet-apens entraînera Martin Schulse à sa propre perte.
"Inconnu à cette adresse" de Kressmann Taylor est un pur chef d'oeuvre de la littérature américaine. Grâce à l'élaboration de cette correspondance fictive, le lecteur assiste à la fanatisation lente mais sûre de la population allemande. Le ver est dans le fruit ; le fruit finira par pourrir. C'est une description, via l'échange épistolaire, de la métamorphose de la société allemande, de l'acceptation de l'inacceptable, de l'intolérable, au nom d'une cause considérée comme juste mais transitoire.
"Inconnu à cette adresse" fait frémir le lecteur, à plus d'un titre. C'est un instantané sur une tragédie tout à la fois personnelle et collective, celle de l'Allemagne nazie. Mais c'est aussi et surtout l'histoire d'une trahison personnelle et intime d'un homme vis-à-vis de celui qu'il considérait comme un frère.
(Livre de poche n° 30111)
"Quatorze ans déjà que la guerre est finie ! J'espère que tu as entouré la date en rouge sur le calendrier. C'est fou le chemin que nous avons parcouru, en tant que peuples, depuis le début de toute cette violence !".
Ainsi parle - ou plutôt écrit - Max Eisenstein, juif américain à son meilleur ami et associé de la galerie d'art Schulse-Eisenstein, Martin Schulse. Parce que Martin Schulse, Allemand, vient de rentrer au pays. Nous sommes en 1932, et chacun est intimement et profondément persuadé que l'Allemagne est devenu un pays démocratique où il fera toujours bon vivre. Martin n'a jamais réussi à s'intégrer dans cette société américaine, malgré la prospérité de leur galerie.
Martin Schulse est optimiste pour ce qui concerne sa nouvelle existence, à Munich. Il a trouvé une somptueuse maison acquise pour un prix dérisoire en raison de la crise économique qui sévit en Allemagne. Bien que les troubles politiques soient de plus en plus fréquents, ils n'inquiètent pas pour autant Martin. "[...] les troubles politiques sont fréquents, même maintenant, sous la présidence de Hindenbourg, un grand libéral que j'admire beaucoup. D'anciennes relations me pressent déjà de participer à la gestion municipale. J'y songe. Un statut officiel pourrait être tout à notre avantage, localement".
Alors que Martin est tout à son bonheur d'avoir retrouvé sa patrie d'origine, Max - quant à lui - craint l'arrivée de cet Adolf Hitler au pouvoir pour la communauté juive en général et pour sa jeune soeur Griselle, en particulier. Il demandera à son ami et frère de le rassurer sur la situation actuelle de l'Allemagne, sur les rumeurs de persécutions, de violences faites aux Juifs. Max lui adjure de dire la vérité. De son côté, Martin commence à croire qu'Hitler est un bienfait pour l'Allemagne. Bien sûr, il se pose quelques questions sur son équilibre psychique. "Mais je m'interroge : est-il complètement sain d'esprit ? Ses escouades en chemises brunes sont issues de la populace. Elles pillent, et elles ont commencé à persécuter les Juifs. Mais il ne s'agit peut-être là que d'incidents mineurs". Mais surtout, les Allemands espèrent à nouveau.
Evidemment, Martin Schulse deviendra membre actif du Parti et se sent enthousiaste quant à la nouvelle politique. Même s'il se demande quelle peut être la personnalité réelle d'Hitler, il garde confiance en l'avenir. "Et je me rallie à lui. Non, comme tu le suggères, parce que, submergé par un courant, je ne peux faire autrement, mais par libre choix. [...] Je ne m'interroge pas sur la finalité de notre action : elle est vitale, donc elle est bonne. Si elle était mauvaise, elle ne susciterait pas autant d'enthousiasme". Et contrairement à ce que croyait Max, Martin n'est pas un libéral. Il ne l'a jamais été. Il a toujours été un patriote allemand. Rien d'autre. De toutes façons, il lui ordonne de ne plus lui écrire chez lui, mais via la banque parce qu'il ne veut plus rien avoir à faire avec les Juifs.
Max Eisenstein entendra et comprendra très bien ce nouveau comportement de son ami. Seulement, l'amitié a, elle aussi, ses limites. Elle sera atteinte quand il s'apercevra que Martin Schulse est devenu un parfait membre du parti national socialiste. Dès lors, un machiavélique guet-apens entraînera Martin Schulse à sa propre perte.
"Inconnu à cette adresse" de Kressmann Taylor est un pur chef d'oeuvre de la littérature américaine. Grâce à l'élaboration de cette correspondance fictive, le lecteur assiste à la fanatisation lente mais sûre de la population allemande. Le ver est dans le fruit ; le fruit finira par pourrir. C'est une description, via l'échange épistolaire, de la métamorphose de la société allemande, de l'acceptation de l'inacceptable, de l'intolérable, au nom d'une cause considérée comme juste mais transitoire.
"Inconnu à cette adresse" fait frémir le lecteur, à plus d'un titre. C'est un instantané sur une tragédie tout à la fois personnelle et collective, celle de l'Allemagne nazie. Mais c'est aussi et surtout l'histoire d'une trahison personnelle et intime d'un homme vis-à-vis de celui qu'il considérait comme un frère.