Biographie de la femme morderne
La femme gelée - Annie Ernaux
(Folio n° 1818)
(Folio n° 1818)
"Mes femmes à moi, elles avaient toutes le verbe haut, des corps mal surveillés, trop lourds ou trop plats, des doigts râpeux, des figures pas fardées du tout ou alors le paquet, du voyant, en grosses taches aux joues et aux lèvres. [...] elles ne soupçonnaient pas que la poussière doit s'enlever tous les jours, elles avaient travaillé ou travaillaient aux champs, à l'usine, dans des petits commerces ouverts du matin au soir".
Ainsi sont les femmes qui ont peuplé l'enfance d'Annie Ernaux. De la grand-mère qui, à défaut d'être devenue institutrice, a été mère de six enfants accrochés à ses jupes après avoir élevé ses cinq frères et soeurs, à la tante Elise, "[...] tanguante de graisse mais vive, un peu cracra [...]", en passant par la tante Caroline, jamais chez elle, toujours à cultiver son potager ou à discuter avec les voisines. Et sa mère, "Elle est la force et la tempête, mais aussi la beauté, la curiosité des choses, figure de proue qui m'ouvre l'avenir et m'affirme qu'il ne faut jamais avoir peur de rien ni de personne". Une lutteuse, cette mère. Une battante, volontaire, entraînant dans son sillage un homme tendre, doux, tranquille.
Couple moderne bien avant l'heure, ils se partagent l'ensemble des taches ménagères aussi bien que celles du café-épicerie. D'un côté, l'impatience des clientes, de l'autre la bonhommie des consommateurs qui n'avaient cure du temps qui passe. L'enfance d'Annie Ernaux entre un père aimant, adoré, adulé, toujours présent dans les petits et les grands moments de sa vie, et une mère si différente des autres, qui l'incite à avoir de l'imagination grâce à la lecture, les jeux, l'écriture, l'histoire. "Et je me souviens de ces lectures qu'elle a favorisées comme d'une ouverture sur le monde".
Pas que du bonheur dans son éducation, mais une belle découverte : celle d'apprendre que les filles ne sont ni inférieures, ni supérieures aux garçons. "Ni virilité, ni féminité, j'en connaîtrai les mots plus tard, que les mots, je ne sais pas encore bien ce qu'ils représentent [...]". Elle l'apprendra plus tard. A l'âge adulte. Pour le moment, c'est l'époque de l'innocence, de l'insouciance, des jeux. Pas ceux des petites filles modèles, plutôt ceux des garçons.
Mais déjà pointent les affres de l'adolescence et son cortège de doutes, de remises en cause, de questionnement. Le corps change au moment où s'envole la futilité. Envie de plaire aux garçons et peur de ne pas être comme les autres. "[...] je vais valoriser tout ce qui me paraissait alors si moche, indicible, mon corps réel, le plaisir, ma conscience fugitive de ne pas être une vraie fille bien féminine [...]". Eveil à la sexualité, avec sa copine Brigitte. Entre envie et répulsion, cette attirance pour les garçons. Volonté d'apprendre à les connaître, en restant soi, malgré tout ; malgré la peur de la solitude imposée, du cliché de vieille fille qui effraie.
Le bas, enfin. Ouf. La délivrance de cette incertitude sur l'avenir. La réussite d'une première étape franchie. Besoin d'avoir de l'ambition, de s'assumer, d'être indépendante, d'exister par soi et pour soi. Devenir prof, après quelques hésitations sur d'autres voies. "Prof, le mot qui ploufe comme un caillou dans une flaque, femmes victorieuses, reines des classes, adorées ou haïes, jamais insignifiantes, je ne me pose pas la question de savoir à laquelle je ressemblerai". Rencontre, au cours de sa vie d'étudiante douce et calme, de son double intellectuel, au masculin. Et les parents qui veulent savoir l'avenir personnel de leur fille unique. Le mariage, comme une raison d'être, d'exister, un accomplissement, un adoubement pour entrer dans la vraie vie, la vie d'adulte.
Et le mariage, logique, après incertitude, selon les codes, les usages, les bonnes moeurs. Accepter de renoncer à sa liberté chérie, absolue, totale. Le premier enfant - le Bicou - nouveau signe d'enferment dans sa nouvelle vie de femme au foyer, de renoncement à ses rêves d'enfant et ses vélléités d'indépendance. Pourquoi donc vouloir un diplôme, alors que l'on peut s'épanouir dans la maternité, dans son ménage ? Entêtée, malgré reproches et arguments pour la faire renoncer à son projet. Son CAPES, elle le veut, l'exige. C'est sa bouée de sauvetage. L'honneur des femmes qu'elle porte en elle.
Horreur de sa nouvelle vie. Impression d'enlisement, de noyade, d'inutilité. "J'ai vécu jour après jour la différence entre lui et moi, coulé dans un univers rétréci, bourrée jusqu'à la gueule de minuscules soucis. De solitude. Je suis devenue la gardienne du foyer, la préposée à la subsistance des êtres et à l'entretien des choses". Depuis son mariage, une quête effrénée de l'égalité entre son mari et elle. A force d'acharnement, de ténacité, le diplôme tant attendu, obtenu. Réussite sans joie. Mais aussi plaisir, jouissance, de la toute-puissance. Une autre vie. Enfin.
"La femme gelée" d'Annie Ernaux parle d'elle et de toutes les femmes qui ont toujours combattu pour mener de front vie professionnelle et personnelle. La recherche de la parité entre elle et lui, sexuelle, sociale, familiale dans le partage des taches ménagères, dans l'éducation des enfants. C'est un livre à la fois doux et tendre sur son enfance et ses désirs d'adulte accomplie ; mais aussi dur et amer, cynique, sur la réalité du couple moderne, sur l'inégalité malgré les diplômes, les études. C'est une histoire de lutte ; une histoire de femme dans une société complexe. Pas de militantisme, mais un récit sobre et dépouillé sur le quotidien de la plupart d'entre nous.
Ainsi sont les femmes qui ont peuplé l'enfance d'Annie Ernaux. De la grand-mère qui, à défaut d'être devenue institutrice, a été mère de six enfants accrochés à ses jupes après avoir élevé ses cinq frères et soeurs, à la tante Elise, "[...] tanguante de graisse mais vive, un peu cracra [...]", en passant par la tante Caroline, jamais chez elle, toujours à cultiver son potager ou à discuter avec les voisines. Et sa mère, "Elle est la force et la tempête, mais aussi la beauté, la curiosité des choses, figure de proue qui m'ouvre l'avenir et m'affirme qu'il ne faut jamais avoir peur de rien ni de personne". Une lutteuse, cette mère. Une battante, volontaire, entraînant dans son sillage un homme tendre, doux, tranquille.
Couple moderne bien avant l'heure, ils se partagent l'ensemble des taches ménagères aussi bien que celles du café-épicerie. D'un côté, l'impatience des clientes, de l'autre la bonhommie des consommateurs qui n'avaient cure du temps qui passe. L'enfance d'Annie Ernaux entre un père aimant, adoré, adulé, toujours présent dans les petits et les grands moments de sa vie, et une mère si différente des autres, qui l'incite à avoir de l'imagination grâce à la lecture, les jeux, l'écriture, l'histoire. "Et je me souviens de ces lectures qu'elle a favorisées comme d'une ouverture sur le monde".
Pas que du bonheur dans son éducation, mais une belle découverte : celle d'apprendre que les filles ne sont ni inférieures, ni supérieures aux garçons. "Ni virilité, ni féminité, j'en connaîtrai les mots plus tard, que les mots, je ne sais pas encore bien ce qu'ils représentent [...]". Elle l'apprendra plus tard. A l'âge adulte. Pour le moment, c'est l'époque de l'innocence, de l'insouciance, des jeux. Pas ceux des petites filles modèles, plutôt ceux des garçons.
Mais déjà pointent les affres de l'adolescence et son cortège de doutes, de remises en cause, de questionnement. Le corps change au moment où s'envole la futilité. Envie de plaire aux garçons et peur de ne pas être comme les autres. "[...] je vais valoriser tout ce qui me paraissait alors si moche, indicible, mon corps réel, le plaisir, ma conscience fugitive de ne pas être une vraie fille bien féminine [...]". Eveil à la sexualité, avec sa copine Brigitte. Entre envie et répulsion, cette attirance pour les garçons. Volonté d'apprendre à les connaître, en restant soi, malgré tout ; malgré la peur de la solitude imposée, du cliché de vieille fille qui effraie.
Le bas, enfin. Ouf. La délivrance de cette incertitude sur l'avenir. La réussite d'une première étape franchie. Besoin d'avoir de l'ambition, de s'assumer, d'être indépendante, d'exister par soi et pour soi. Devenir prof, après quelques hésitations sur d'autres voies. "Prof, le mot qui ploufe comme un caillou dans une flaque, femmes victorieuses, reines des classes, adorées ou haïes, jamais insignifiantes, je ne me pose pas la question de savoir à laquelle je ressemblerai". Rencontre, au cours de sa vie d'étudiante douce et calme, de son double intellectuel, au masculin. Et les parents qui veulent savoir l'avenir personnel de leur fille unique. Le mariage, comme une raison d'être, d'exister, un accomplissement, un adoubement pour entrer dans la vraie vie, la vie d'adulte.
Et le mariage, logique, après incertitude, selon les codes, les usages, les bonnes moeurs. Accepter de renoncer à sa liberté chérie, absolue, totale. Le premier enfant - le Bicou - nouveau signe d'enferment dans sa nouvelle vie de femme au foyer, de renoncement à ses rêves d'enfant et ses vélléités d'indépendance. Pourquoi donc vouloir un diplôme, alors que l'on peut s'épanouir dans la maternité, dans son ménage ? Entêtée, malgré reproches et arguments pour la faire renoncer à son projet. Son CAPES, elle le veut, l'exige. C'est sa bouée de sauvetage. L'honneur des femmes qu'elle porte en elle.
Horreur de sa nouvelle vie. Impression d'enlisement, de noyade, d'inutilité. "J'ai vécu jour après jour la différence entre lui et moi, coulé dans un univers rétréci, bourrée jusqu'à la gueule de minuscules soucis. De solitude. Je suis devenue la gardienne du foyer, la préposée à la subsistance des êtres et à l'entretien des choses". Depuis son mariage, une quête effrénée de l'égalité entre son mari et elle. A force d'acharnement, de ténacité, le diplôme tant attendu, obtenu. Réussite sans joie. Mais aussi plaisir, jouissance, de la toute-puissance. Une autre vie. Enfin.
"La femme gelée" d'Annie Ernaux parle d'elle et de toutes les femmes qui ont toujours combattu pour mener de front vie professionnelle et personnelle. La recherche de la parité entre elle et lui, sexuelle, sociale, familiale dans le partage des taches ménagères, dans l'éducation des enfants. C'est un livre à la fois doux et tendre sur son enfance et ses désirs d'adulte accomplie ; mais aussi dur et amer, cynique, sur la réalité du couple moderne, sur l'inégalité malgré les diplômes, les études. C'est une histoire de lutte ; une histoire de femme dans une société complexe. Pas de militantisme, mais un récit sobre et dépouillé sur le quotidien de la plupart d'entre nous.