Vienne, capitale écartelée
Vienne 1900 - Michael Pollak (Folio)
"En 1900 Vienne n'a depuis longtemps déjà, plus de palce centrale parmi les capitales européennes. Face à Paris, à Londres et même à Berlin, Vienne est en 1900 une métropole européenne en voie de provincialisation. Parmi les grandes puissances, la position de l'Autriche-Hongrie est secondaire sans être encore reléguée au statut d'une puissance périphérique. Vienne joue ainsi le rôle d'une métropole à la marge de celles "où les choses se passent"".
Vienne est une ville au charme incontesté, mais suranné. A la confluence d'un empire immense qui s'étend des frontières de l'Occident à celles de l'Orient, elle a toujours donné l'impression d'être une capitale aux pieds d'argiles. Et du point de vue artistique, l'Autriche accuse un retard important dans la production littéraire, au milieu du 19ème Siècle. L'autre capitale germanophone - Berlin - symbolise, dès cette époque, le dynamisme, l'avenir. Paris est invoquée par les artistes viennois comme un modèle, entre traditions et modernité.
Pour être reconnus et diffusés, les auteurs autrichiens n'ont souvent d'autres choix que celui de se faire imprimer dans les grandes villes allemandes : Leipzig, Iéna ou Berlin. "[...] les écrivians viennois se sentent en même temps dominés sur le marché allemand pour lequel ils doivent produire. [...] ils doivent soit se contenter du marché local, soit s'adapter aux moeurs qui régissent l'accès à un système de production et de diffusion qui les assimile à une communauté linguistique, sans reconnaître leurs différences culturelles spécifiques". Dans ce particularisme autrichien, Richard Wagner - en se faisant le chantre du pangermanisme - va jouer un rôle de diviseur du milieu culturel artistique et intellectuel viennois.
Mais ce bouillonnement intellectuel et les problèmes de diffusion provoquent malgré tout une flambée des organes de presse, comme moyens d'expression. La Neue Freie Presse, journal le plus important dans lequel se retrouveront toutes les grandes plumes littéraires autrichiennes, va transcrire et représenter la pensée de l'opinion publique en cette fin 19ème. La presse va développer un genre nouveau et particulier, permettant à de nombreux écrivains de se faire connaître du grand public : le feuilleton. Il faut savoir qu'avant l'explosion du journalisme et la fin de la censure de l'empire, la plupart des écrivains officiels étaient des fonctionnaires, souvent de souche aristocratique et liés à la cour. Ils seront à l'origine de la conception de l'art pur qui produit en fonction de ses idées. "Dans une tradition qui fait d'abord de la littérature un instrument de propagande et d'éducation, le théâtre reste le genre privilégié de tous les écrivains. Ceci vaut en particulier pour les écrivains-fonctionnaires venus de la haute bourgeoisie [...]". La lutte des cates qui prévaut dans la société, existe aussi dans le milieu intellectuel et artistique. La création de Cercle de bistrot - préfigurant les cafés littéraires viennois -permet de rapprocher les écrivains-fonctionnaires et les auteurs populaires exclus de la haute société.
Au centre de cette société civile et intellectuelle se situe la communauté juive viennoise. Les intellectuels juifs vont s'engager dans la voie politique de la sociale-démocratie, dont Sigmund Freud, Gustav Mahler et d'autres. Elle sera l'héritière des valeurs intellectuelles libérales autrichiennes, bien qu'à cette époque la notion d'antisémitisme n'existe pas encore. Pour le désigner, le terme mangeur de Juifs est utilisé. Mais chaque artiste juif a conscience que si l'empire éclate - ce qui ne saurait tarder, vu les revendications nationalistes des uns et des autres - la communauté sera menacée au-delà de sa seule identité sociale. Les divisions internes vont empêcher une réaction unanime qui aurait pu rétablir un sentiment d'identité. "Ce problème d'identité est particulièrement aigu parmi les étudiants et intellectuels qui avaient souvent été les plus fervents défenseurs de la culture germanique, une attitude que l'antisémitisme rend problématique. A la difficile gestion d'une double identité autrichienne et allemande s'ajoute celle d'être juif". C'est Théodore Herzl - journaliste couvrant l'Affaire Dreyfus pour la Neue Freie Presse - qui prendra conscience de l'ampleur du drame qui se prépare et créé le Sionisme politique.
Le début du 20ème Siècle coïncide avec une tentative de renouveau politique de l'empire, de plus en plus fragilisé. L' art moderne est vu comme le ciment symbolique de l'unité artistique et national. L'avant-garde intellectuelle et artistique se regroupe au sein du Jung Wien. Le changement est surtout marqué dans la production théâtrale. Après un déclin du théâtre populaire, celui-ci redevient un lieu de vie culturelle viennois. De même, la nomination de Gustav Mahler comme directeur d' Opéra inaugure une décennie glorieuse. La critique ne s'y trompe pas, qui exalte la naissance d'un art autrichien. "Dans les journaux, la critique viennoise exlate l'éclosion d'un art véritablement autrichien, cosmopolite, opposé aux nationalismes. A travers l'exploration psychologique, cet art est appelé à créer un homme nouveau, à inventer l'âme autrichienne".
"Vienne 1900" de Michael Pollak peut apparaître - pour de nombreux lecteurs - comme un livre sec, aride, difficile à aborder. Or, malgré les apparences, il n'en est rien. L'auteur a voulu présenter une capitale européenne peu - ou pas - connue pour sa production artistique et intellectuelle. Elle a vécu dans l'ombre d'une autre capitale - Berlin - centre de la culture de langue allemande, qui l'a privée de ses éléments les plus brillants. A travers cet essai, on perçoit toute la complexité d'une capitale provinciale, au coeur même d'un empire instable et aux revendications multiples de la part des états le composant.
Vienne a néanmoins été un des berceaux de la modernité et de la fécondité intellectuelles, à commencer par la psychanalyse de Freud, le Sionisme de Herzl, les ouvrages de Stephan Zweig ou d'Arthur Schnitzler, la poésie de Rilke, la musique de Mahler ou encore les peintures de Klimt.
Vienne est une ville au charme incontesté, mais suranné. A la confluence d'un empire immense qui s'étend des frontières de l'Occident à celles de l'Orient, elle a toujours donné l'impression d'être une capitale aux pieds d'argiles. Et du point de vue artistique, l'Autriche accuse un retard important dans la production littéraire, au milieu du 19ème Siècle. L'autre capitale germanophone - Berlin - symbolise, dès cette époque, le dynamisme, l'avenir. Paris est invoquée par les artistes viennois comme un modèle, entre traditions et modernité.
Pour être reconnus et diffusés, les auteurs autrichiens n'ont souvent d'autres choix que celui de se faire imprimer dans les grandes villes allemandes : Leipzig, Iéna ou Berlin. "[...] les écrivians viennois se sentent en même temps dominés sur le marché allemand pour lequel ils doivent produire. [...] ils doivent soit se contenter du marché local, soit s'adapter aux moeurs qui régissent l'accès à un système de production et de diffusion qui les assimile à une communauté linguistique, sans reconnaître leurs différences culturelles spécifiques". Dans ce particularisme autrichien, Richard Wagner - en se faisant le chantre du pangermanisme - va jouer un rôle de diviseur du milieu culturel artistique et intellectuel viennois.
Mais ce bouillonnement intellectuel et les problèmes de diffusion provoquent malgré tout une flambée des organes de presse, comme moyens d'expression. La Neue Freie Presse, journal le plus important dans lequel se retrouveront toutes les grandes plumes littéraires autrichiennes, va transcrire et représenter la pensée de l'opinion publique en cette fin 19ème. La presse va développer un genre nouveau et particulier, permettant à de nombreux écrivains de se faire connaître du grand public : le feuilleton. Il faut savoir qu'avant l'explosion du journalisme et la fin de la censure de l'empire, la plupart des écrivains officiels étaient des fonctionnaires, souvent de souche aristocratique et liés à la cour. Ils seront à l'origine de la conception de l'art pur qui produit en fonction de ses idées. "Dans une tradition qui fait d'abord de la littérature un instrument de propagande et d'éducation, le théâtre reste le genre privilégié de tous les écrivains. Ceci vaut en particulier pour les écrivains-fonctionnaires venus de la haute bourgeoisie [...]". La lutte des cates qui prévaut dans la société, existe aussi dans le milieu intellectuel et artistique. La création de Cercle de bistrot - préfigurant les cafés littéraires viennois -permet de rapprocher les écrivains-fonctionnaires et les auteurs populaires exclus de la haute société.
Au centre de cette société civile et intellectuelle se situe la communauté juive viennoise. Les intellectuels juifs vont s'engager dans la voie politique de la sociale-démocratie, dont Sigmund Freud, Gustav Mahler et d'autres. Elle sera l'héritière des valeurs intellectuelles libérales autrichiennes, bien qu'à cette époque la notion d'antisémitisme n'existe pas encore. Pour le désigner, le terme mangeur de Juifs est utilisé. Mais chaque artiste juif a conscience que si l'empire éclate - ce qui ne saurait tarder, vu les revendications nationalistes des uns et des autres - la communauté sera menacée au-delà de sa seule identité sociale. Les divisions internes vont empêcher une réaction unanime qui aurait pu rétablir un sentiment d'identité. "Ce problème d'identité est particulièrement aigu parmi les étudiants et intellectuels qui avaient souvent été les plus fervents défenseurs de la culture germanique, une attitude que l'antisémitisme rend problématique. A la difficile gestion d'une double identité autrichienne et allemande s'ajoute celle d'être juif". C'est Théodore Herzl - journaliste couvrant l'Affaire Dreyfus pour la Neue Freie Presse - qui prendra conscience de l'ampleur du drame qui se prépare et créé le Sionisme politique.
Le début du 20ème Siècle coïncide avec une tentative de renouveau politique de l'empire, de plus en plus fragilisé. L' art moderne est vu comme le ciment symbolique de l'unité artistique et national. L'avant-garde intellectuelle et artistique se regroupe au sein du Jung Wien. Le changement est surtout marqué dans la production théâtrale. Après un déclin du théâtre populaire, celui-ci redevient un lieu de vie culturelle viennois. De même, la nomination de Gustav Mahler comme directeur d' Opéra inaugure une décennie glorieuse. La critique ne s'y trompe pas, qui exalte la naissance d'un art autrichien. "Dans les journaux, la critique viennoise exlate l'éclosion d'un art véritablement autrichien, cosmopolite, opposé aux nationalismes. A travers l'exploration psychologique, cet art est appelé à créer un homme nouveau, à inventer l'âme autrichienne".
"Vienne 1900" de Michael Pollak peut apparaître - pour de nombreux lecteurs - comme un livre sec, aride, difficile à aborder. Or, malgré les apparences, il n'en est rien. L'auteur a voulu présenter une capitale européenne peu - ou pas - connue pour sa production artistique et intellectuelle. Elle a vécu dans l'ombre d'une autre capitale - Berlin - centre de la culture de langue allemande, qui l'a privée de ses éléments les plus brillants. A travers cet essai, on perçoit toute la complexité d'une capitale provinciale, au coeur même d'un empire instable et aux revendications multiples de la part des états le composant.
Vienne a néanmoins été un des berceaux de la modernité et de la fécondité intellectuelles, à commencer par la psychanalyse de Freud, le Sionisme de Herzl, les ouvrages de Stephan Zweig ou d'Arthur Schnitzler, la poésie de Rilke, la musique de Mahler ou encore les peintures de Klimt.