La Mémoire qui flanche

Publié le par Nanne

      La Mémoire courte - Jean Cassou
       (Mille et une nuit n° 314)



"L'homme est avant tout mémoire, qui lui explique son passé et l'éclaire sur le choix de son avenir, bref dessine son destin. Il le sait bien, le poète en prison, dépouillé de tout sauf de sa mémoire, et qui se reconstitue par coeur. De même en est-il des peuples qui agissent selon le cours de leur mémoire collective et font leur histoire. Et l'homme écrit ses mémoires, qui sont aussi celles de son temps et de son peuple".

Cet essai sur la notion de Résistance est écrit en 1953 par Jean Cassou, alors que se pose la question de l'amnistie des collaborateurs du régime de Vichy. Dans cette étude, Jean Cassou - poète, écrivain, fondateur du musée d'Art moderne et un des premiers résistants - pose la question cruciale, fondamentale sur la part de responsabilité des peuples dans les régimes mis en place. Selon lui, il est impératif qu'une nation se pose la question de son implication dans les grands moments de l'Histoire dès que les circonstances l'imposent. Selon lui, le comportement de la population est la caractéristique principale d'une nation. Et de prendre l'exemple - mais est-ce un hasard ? - de l'Allemagne. "Un peuple tout entier ramassé dans l'affirmation de son trait le
plus pervers, en l'occurence le sadisme. Mais peut-être ce peuple n'a-t-il que des traits pervers, peut-être est-il tout perversité. On inclinerait à le croire, tant il a mis de fureur et d'unanimité à se vouloir race, c'est-à-dire à marquer sa différence".

Selon l'auteur, les Allemands auraient pu imposer un gouverneur à la France vaincue. Au lieu de cette contrainte, la France a préféré récupérer un vieux maréchal, vainqueur de Verdun, flattant notre débâcle honteuse comme une victoire, faisant ainsi vibrer une corde particulièrement sensible de nos défauts : la bêtise. Et le plus grand des crimes commis par un peuple et son régime reste l'inertie. Pire encore que la lâcheté, elle est le consentement et l'acceptation silencieuse de tout ce qui se fait, s'organise. Mais pour Jean Cassou, les vrais responsables sont encore à chercher ailleurs. "Mais je prêtends que plus responsables encore, et plus ignominieux dans la responsabilité, ont été les autres, les tièdes, les vagues complices qui s'en lavaient les mains, ceux du laisser passer, laisser faire, ceux qui ont accepté Vichy, comme ça, comme tout le monde, et en somme c'était tout le monde, puisque c'étaient toujours les autres et que les autres laissaient faire les autres en disant : bagatelle ! Bagattelle pour un massacre. Ils disaient aussi que la France allemande ça vaut mieux que la France juive".

Heureusement, face à l'inertie, à l'attente et à la passivité, voire à la collaboration franche et ouverte, est mis en exergue la notion, l'essence même de la Résistance. Pour l'auteur, La
Résistance est un bloc ; elle a été une révolte intérieure, personnelle et morale de chaque individu, de chaque groupe engagés. Tous ont soutenus la Résistance pour des raisons diverses et variées : politiques, morales, religieuses. Pour chaucn d'eux, l'expérience de la Résistance a été unique et une. Elle est devenue un style de vie, une autre façon d'exister, d'être - différemment - et de s'inventer une nouvelle histoire. Cette période, par son caractère unique, a été tout à la fois iréelle et hétérogène, voire quasiment incommunicable. Pour certains, la Résistance a été une aventure ; pour l'auteur : un bonheur !!

Et par-delà les vivants, il y a aussi les autres : ceux qui ont tout donné, jusqu'à leur vie. Ceux-ci ont été jusqu'au bout de leur engagement, le payant de leur vie : "Tous les morts, tous, jeunes et vieux, hommes, femmes, enfants, savaient ce qui se passait. Car il s'était passé quelque chose. Il s'est passé quelque chose et il s'est trouvé un certa in nombre d'hommes pour le voir et le savoir, et qui pour cette science irréfutable ont donné leur vie". Un immense regret pour cet auteur : que la Résistance soit passée de la pensée à la réalité vraie mais que celle-ci n'est pas perdurée au-delà de la Libération, que ses espoirs en une autre Société ne se soit pas concrétisée.

"La Mémoire courte" de Jean Cassou est un pamphlet pour le moins virulent, acide, acéré, incisif,
cynique même. C'est une réponse à un écrit de Jean Paulhan, autre résistant et écrivain. L'auteur se libère d'un poids : celui de dire - à tous les Français - leur lâcheté, a priori  et a posteriori, alors que certains collaborateurs revenaient de leur exil en France sans jamais avoir été inquiétés. Le procès de la conscience  collective n'a jamais été réalisé selon lui, qu'il considère comme supérieur à tout autre forme de jugement. Il revient aussi sur le rêve d'une société nouvelle, issue des aspirations des organisations et mouvements de Résistance et formalisées au sein du Comité National de la Résistance. "La Mémoire courte" heurte parfois le lecteur, car cet essai nous revèle tel que les Français se sont vraiment comportés et non pas comme ils auraient aimé être. Ce livre est une dure réalité de notre Histoire et nous rappelle que le devoir de mémoire est - encore - un acte de résistance comme les méfaits du temps. Cet ouvrage est à rapprpcher du documentaire de Marcel Ophuls, "Le Chagrin et la Pitié".

Publié dans Essais - critiques

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