Souvenirs d'en France
Agates et calots - Joseph Joffo (Livre de poche)
Comme tout le monde, j'ai connu Joseph Joffo et son frère Maurice avec "Le sac de billes". A l'époque, j'avais trouvé cette histoire triste, mais triste. Tellement triste que je me suis jurée de ne plus jamais le relire. Mais il ne faut jamais dire jamais. Lorsque je suis tombée, inopinément, sur "Agates et calots" chez mon bouquiniste, j'ai de suite pensé à ma promesse. Encore une histoire que j'allais lire le coeur au bord des lèvres, et la larme à l'oeil. Seulement, le résumé prévenait le lecteur que ce livre venait avant "Le sac de billes", et racontait l'enfance, l'insouciance de Maurice et Jojo, juste avant. Comme d'habitude, la curiosité a été la plus forte. Et franchement, aucun regret. J'ai même failli le lire avec une paille dans mon thé et faire des bulles en soufflant dedans, comme au bon vieux temps !!
Cadet d'une fratrie qui compte trois frères et trois soeurs, Jojo avoue un faible pour Rose - sa Rosette - qui lui apprend toutes les chansons de Charles Trenet. Mais c'est avec Maurice qu'il traîne et furète partout dans Montmartre. "Avec mon frère, je partage tout ... ou presque, et pour la peine, il me fait croire qu'il me protège. Comme si je ne me débrouillais pas très bien tout seul ! Il s'imagine qu'il est bien plus malin et plus intelligent que moi. Je ne veux pas lui faire de peine, alors je lui laisse croire que c'est vrai". Bien sûr, Maurice est un grand de 9 ans. Il s'impose comme le chef naturel de son quartier, surtout des enfants du square de Clignancourt. C'est lui qui décide de tout pour chacun. Et puis, Jojo et Maurice ont un rêve sur lequel ils travaillent sérieusement : celui de partir faire fortune en Amérique. Pour cela, il faut de l'argent. Tout est bon pour en gagner. Comme de fouiller les gravats d'une usine de freins pour en récupérer le cuivre et le revendre. Ou encore, de chanter, place du Tertre, des airs de Trenet ... avec le chien Woswos. Seulement, Jojo est sérieusement amoureux de Blanche. Il a décidé de l'emmener en Amérique, que Maurice soit d'accord ou pas. Blanche, qui sera la cause de son premier gros chagrin d'amour.
Mais Maurice et Jojo sont Juifs. Ils ne comprennent pas très bien la différence avec les autres. "Mon père dit qu'on est en France dans un pays laïc, et qu'il faut nous plier aux règles de la République. Il dit encore qu'on est juifs, mais qu'il ne faut pas en faire un métier. [...]. Il fait sabbat le vendredi soir, mais ça ne l'empêche pas de travailler le samedi. Au fond, je trouve que c'est plutôt bien. Parce que, du coup, on a plein de jours de fête : vendredi et bien sûr dimanche". Bref, le bonheur à l'état pur. La vie coule lentement, limpide et belle, entre le salon de coiffure paternel et la maison de campagne de Freinville - qui se donne de faux airs de Deauville et de Trouville.
Oui, la vie est belle ente école buissonnière et séances de cinéma ou de cirque Médrano. On en oublie trop rapidement que des nuages noirs et lourds se profilent à l'horizon, comme les soirées d'été lourdes et chargées d'orage menaçant. Ces nuages viennent d'Allemagne et ne vont pas tarder à plomber le ciel de tous les pays d'Europe. On se prend à espérer que les accords de Munich ne sont pas un leurre destiné à cacher une réalité trop criante. Le jour où l'Allemagne envahit la Pologne, Maurice prend une baffe pour son grand sens de la politique internationale. " - Vous en faîtes une tête ! Il vaut mieux que ce soit la Pologne que la France ! Paf. Une baffe. Mon père n'écoute pas souvent le poste et, quand il l'écoute, c'est pas pour être dérangé. Tout de même, une baffe pour la Pologne, ça ferait combien pour la France ?". La guerre franco-allemande se gagnera sur le terrain de foot. Mais, là encore, la lutte sera rude et âpre. Comme toujours !!
Puis, ce sera la débâcle et le grand départ pour la Bretagne ... à défaut de New York qui attendra encore quelques années. Ce sont finalement les américains qui viendront à Maurice et à Jojo, un beau jour d'août 1944.
Avec "Agates et calots", on suit la vadrouille de deux charmants fripons au gré des rues de Montmartre. On prend plaisir à faire l'école buissonnière pour découvrir les westerns où les forts gagnent toujours. On fredonne Charles Trenet et on se gave de flans lyonnais. On oublie le pire, parce que c'est pour demain et que l'on redevient enfant avec l'innocence et la spontanéité qui vont avec. C'est plein d'émotion, de joie, de gaieté, d'espoir aussi. A lire et à relire encore et toujours pour réveiller l'enfant qui sommeille en nous.