Détournement de vies
Ah ! Berlin et autres récits - Patrick Besson
(Folio)
Patrick Besson a l'art de raconter des histoires sur un ton mordant, cinique et ironique. Il n'y a qu'à lire ses chroniques journalistiques pour s'en rendre compte. Les quatre nouvelles contenues dans "Ah ! Berlin et autres récits" en sont une preuve flagrante. "Ah ! Berlin" ou l'histoire d'un soldat français oisif en vadrouille dans Berlin ouest, du temps où la ville était défigurée par le mur de la honte. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le soldat Nikita Morgenstein ne brille pas par ses états de services à l'armée. En fait, il n'en a reçu que des mauvais. En plus, il est déloyal. D'ailleurs, il est incapable de se concentrer sur une seule et unique chose, même sur une courte période. "Morgenstein avait fait une année de chinois, une année de lettres modernes et une année d'anglais. Maintenant, il faisait une année d'armée. Il arrivait rarement à faire la même chose pendant plus d'une année".
C'est en se rendant au Café Mörhing que la vie de Morgenstein va être bouleversée, lorsque Andréa - serveuse au café - rentre dans son existence. Il tentera tout pour séduire la jeune berlinoise qui restera complètement hermétique à ses assauts d'amoureux transi. "Morgenstein n'avait jamais aimé personne comme il aimait cette fille. En quelques heures, elle avait chassé la lourdeur de sa vie. Rentrer au Quartier eût signifié quitter une piste de danse pour aller s'enfoncer dans des sables mouvants [...]. Il demanda à Andréa si elle le cacherait chez elle, au cas où il déserterait". Dépité d'avoir été éconduit, il trouve refuge chez Hélène, amie d'Andréa et française. Il comprend d'un coup que sa désertion va entraîner certaines conséquences sur le cours de sa vie, qu'il ne pourra pas revenir en France et - surtout - que l'ancien Morgenstein est mort sur le quai du train militaire qui devait le ramener à sa caserne. C'est un nouvel individu, angoissé et sans identité, qui vient de naître. Mais voilà que Jacques Morgenstein - le père, richissime bijoutier - vient en aide à son rejeton en lui proposant une filière pour fuir, muni d'une malette d'argent remplie de trente millions en coupures diverses ... qui disparaîtra entre temps avec son contenu.
Après Berlin, direction New York, avec "Katiouchka", où les frères Kundera - aucun lien avec le philosophe - doivent donner une série de concerts au Carnegie Hall. Si Bronilav se considère comme un virtuose du piano, son frère - Vladimir - est persuadé qu'il aurait mieux réussi en faisant de la peinture sur soie ou en confectionnant des goulasch, plat local. "C'est la raison pour laquelle je fus l'un des premiers à essayer de le décourager de se rendre à New York pour y donner un concert. Ce qui pouvait passer pour de l'habileté auprès de notre public national ou en Europe serait considéré outre-Atlantique comme une offense grave à la mémoire de Mozart ou de Beethoven, les deux victimes préférées de mon frère aîné".
C'est donc accompagné de Vladimir que Bronilav se rend aux Etats-Unis pour une série de concerts. A l'aéroport JFK, Vladimir constate la disparition de son frère. Panique générale et angoisse de l'attachée de presse du Carnegie Hall, Catherine Flakenberg, chargée de les chaperonner. Pourquoi cette soudaine disparition d'un frère qui a toujours été délégué de quelque chose dans leur pays ? Pour une femme ? Pour de l'alcool ? Même si celui-ci réapparaît, elle sera de courte durée. Bronislav sera assassiné quelques heures plus tard dans le Bronx. " - Vous le reconnaissez ? me demanda l'officier de police. - Même pas à l'odeur. - C'est votre frère. - Peut-être. - Il avait ses papiers. - Que faisait-il dans le Bronx ? - Demandez-le lui. - Ce n'est pas drôle. L'officier referma froidement l'espèce de frigo dans lequel reposait celui qui avait été longtemps l'honneur pianistique de notre nation". Pourtant, un petit homme avec un canotier à la Maurice Chevalier aurait vu monter Bronislav dans une limousine. Et si tout cela n'était qu'un meurtre maquillé ?
Les deux dernières nouvelles nous entraînent entre Paris et Berlin grâce à deux enquêtes du commissaire Bartillot. "Le 2ème couteau" se passe dans le monde feutré de l'édition. Lorsque Gaston Cooper apprend la mort de Sandra Gamelin, tuée dans les sous-sols de chez Lipp, celui-ci est persuadé que c'est aussi la mort de sa propre maison d'édition. Jérôme Bernotte, son conseiller littéraire, savait que Sandra voulait changer d'éditeur. De là à supposer qu'un tueur à gage a été engagé pour la supprimer, il n'y a qu'un pas. Pour le commissaire Bartillot, la question est avant tout de savoir pourquoi Sandra Gamelin voulait changer d'éditeur. Simple et stupide, mais essentiel. Et si, dans la série de crimes se succédant, il y avait un lien de cause à effet ? Et si dans l'énigme du meurtre de Sandra, il n'y avait qu'une sordide histoire de plagiat ou de "nègre" qui aurait mal tournée ?
La dernière, "Bernotte et Bartillot", c'est l'association de ceux-ci pour retrouver la trace de Lionel Tessier, fils d'une amie commune. L'enquête les ménera en Allemagne où le corps de celui-ci sera retrouvé à Heilderberg. Sombre et nébuleuse intrigue qui conduiront nos deux compères jusqu'à Berlin, au sein d'une bande de jeunes illuminés à la recherche d'un gourou les guidant dans leur quête d'absolu.
C'est le premier livre de Patrick Besson que j'ai lu, je n'ai donc pas le recul nécessaire pour dire s'il est meilleur ou moins bon qu'un autre ouvrage. Toutefois, j'ai passé un bon moment, avec des crises de fous rires jusqu'aux larmes. Ce qui est déjà un signe. Le seul reproche que je puisse faire à ce recueil, c'est le côté alambiqué de la dernière nouvelle. Elle se tord, se contortionne, s'emmêle parfois avec des lourdeurs. On a du mal à adhérer à la fin, peu crédible. C'est dommage. Car l'ensemble est bon, drôle, grinçant et qui donne envie de lire d'autres livres de cet auteur. Ce dont je ne me gênerai pas de faire à l'occasion !!