Isaac le ténia

Publié le par Nanne

           Isaac le mytérieux - Jerome Charyn 
               (Série Noire)





"Il y avait une fois un vieil homme avec un ver dans le ventre. Le ver aimait grignoter. Le vieil homme devait s'empoigner comme s'il voulait s'arracher les entrailles. Il vivait dans un répugnant hôtel de la Quarante-septième Rue Ouest. L'hôtel n'avait même pas de nom. A deux pas de l'Allée Réservée. Les maquereaux l'évitaient, le vieux". Cette vieille loque que tout le monde évite comme la peste, même les policiers du Bronx, qui traîne son ténia depuis sa fréquentation d'une famille sud-américaine de pick-pockets retardés, n'est autre qu'Isaac Sidel, dit le pur ou le brave, adjoint du chef de la police de New York. Il aime particulièrement travailler dans l'ombre, passant son temps à disparaître et à se déguiser. Personne ne sait jamais où il est passé, sur quelle enquête il se trouve. Pour le moment, il a investi le milieu du proxénétisme. C'est la raison pour laquelle il est déguisé en clochard dépenaillé. Avec son accoutrement, il peut approcher et rassurer les prostituées - noires et blanches - qui se confient à lui.

Au coin du building du New York Times, Isaac le clochard tombe sur une reine de beauté, prostituée blanche arpentant le macadam, superbe, plus proche de la poule de luxe que de la fille des rues. Mais, horreur !! Son profil est tailladé, marqué comme le bétail. "Et puis le vieil homme avait aperçu l'autre côté du visage. Il était tailladé, méchamment tailladé. Elle avait une marque, une jointure semblait-il, on aurait dit qu'elle avait écopé d'un coup de poing, un coup de métal. Il regarda de plus près. On lui avait greffé sur la figure la lettre "D". Seigneur. Une lettre écarlate sur la Quarante-troisième rue". Le sceau du "D" le fait bondir. Qui a pu massacrer une telle beauté et poser son initiale - indélébile - sur la joue d'Annie Powell ? Peu de macs sont capables de sculpter un tel monogramme. C'est un vieux rite du Bronx sur les filles, pour montrer sa propriété privée. Qu'elles soient belles, coriaces, récalcitrantes, elles ne possèdent aucune indépendance. "Elles étaient votre propriété, comme un pic à glace ou un pigeon domestique. Et quand une fille vous "blessait", quand elle provoquait votre jalousie, quand elle vous faisait honte aux yeux de la bande, vous preniez votre couteau pour lui montrer et montrer à tous les limites de la propriété et de l'indépendance".


C'est par Martin McBride, dit Martin l'encaisseur, qu'Isaac apprend qui est le protecteur d'Annie. C'est Dermott Bride, l'un de ses nombreux neveux évoluant dans le milieu. Martin encaisse l'argent, lui tient les comptes. Il faut dire que le Roi Dermott est un personnage un peu discret dans Times Square. En fait, on ne le voit jamais nulle part. Mais Isaac Sidel appartient à la catégorie tenace, acharné, obstiné. Il souhaite parler à Dermott de leur armie commune. Pour cela, direction Dublin pour le rencontrer. Il tombe sur Marshall Berkowitz, le doyen de Columbia, en pélerinage annuel sur les traces de Joyce et de son "Ulysse". 

C'est son ancien professeur à l'université qui apprend à Isaac que c'est lui-même qui a recommandé le dossier de Dermott Bride pour Columbia. "- Comment est-ce que tu as pu approcher le petit Dermott, Marsh ? - Tu es fou ? C'est toi qui me l'as présenté. - C'est moi qui t'ai amené Dermott ? fit Isaac. - Il n'aurait pas pu entrer à Columbia sans son aval [...]. Son dossier était assez moche. Mais tu étais si chaud. Et tu avais raison ... Jamais rencontré un garçon qui pouvait plonger comme lui dans "Ulysse". Dermott avait un don. Mais c'est un Irlandais. Et un millionnaire, aujourd'hui". Isaac tentera bien d'approcher le Roi Dermott, à Dublin. Au seul nom d'Annie Powell aux gardes du corps de Dermott, ceux-ci lui promettent "de lui décrocher de grandioses funérailles irlandaises". 

Lorsque Isaac revient à New York, beaucoup d'événements se sont produits, que ce soit sur les trottoirs du Bronx, ou dans les milieux de la  police ou des politiciens locaux. De meurtres en suicides maquillés, de guet-apens en enlèvements, se révélera un monde sournois, glauque, clandestin, certainement plus dangereux que le milieu du proxénétisme. Grâce au procureur Mangen - autre grand lecteur de Joyce et de son "Ulysse", Isaac comprendra qui tire les ficelles de l'économie de la prostitution et de son contrôle de New York.
 
Peu habituée aux romans policiers, j'avais toujours à l'esprit des romans violents, durs, macabres, noirs. Depuis que j'ai découvert ce style, c'est un peu comme une révélation. Avec "Isaac le mystérieux", j'avais des appréhensions, parce que l'auteur étant américain, leurs romans policiers ne sont généralement pas réputés pour faire dans la psychologie, l'analyse et la réflexion, contrairement aux romans policiers anglais. Je dois avouer être - une fois de plus - passée à côté. Je le regrette pas. "Isaac le mystérieux" est construit sous forme de poupées gigognes. En s'enfonçant dans l'histoire, on découvre toujours un peu plus sur le monde des tripots clandestins, des bandes de quartier, de l'imbrication entre les membres influents de la police et les chefs de gang. De plus, c'est drôle avec des dialogues percutants et impertinents. Un bon moment de détente avec un dose de suspense à passer avec Isaac et son ver.

 

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F
Je n'ai encore rien lu dans cette collection pensant que tous les polars étaient plutôt du genre macabre et en fin de compte pas du tout !!
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N
J'avais exactement le même a priori que toi, Florinette, concernant cette collection. C'est vrai qu'elle a toujours publié des auteurs parfois sulfureux, violents, noirs, durs ... Mais il y a aussi quelques petites pépites dans le lot, dont celui-ci. J'ai été agréablement surprise par cet ouvrage, très drôle et cynique sur le fond. Je crois que je lirai d'autres livres de cette collection.