Ces lieux de lecture insolites

Publié le par Nanne

          Lire aux cabinets - Henry Miller (Folio 2€)




"C'est la première fois que j'ai eu le plaisir de travailler avec un semblant de bibliothèque. Il n'y a sans doute guère plus de cinqu cents volumes en tout, mais, pour la plupart, je les ai choisis. C'est la première fois depuis mes débuts dans la carrière d'écrivain que je suis entouré d'une bonne partie des livres que j'ai toujours eu envie de posséder". C'est ainsi que commence ce petit livre (102 pages) entièrement consacré aux livres, à la lecture, à la création littéraire. Composé de deux nouvelles, la première - "Ils étaient vivants et il m'ont parlé" - raconte les émois d'Henry Miller vis-à-vis des livres en général. Depuis qu'il s'est pris de passion pour la lecture, le jeune Henry Miller n'y a rencontré que des obstacles. Soit que les ouvrages voulus étaient sortis des bibliothèques, soit qu'il n'avait pas d'argent de poche pour se les procurer.

Sa passion le pousse parfois à des excès de correspondance avec les auteurs, les éditeurs et ses propres amis. Il ne peut s'empêcher de garder pour lui un livre qu'il juge réussi. Henry Miller doit en parler, en faire l'éloge et faire corps avec l'ouvrage. "L'expérience qu'a été pour moi cette lecture devient un élément qui prend place dans ma conversation de tous les jours, qui s'intègre à ce que je bois, à ce que je mange [...]. Sans le lecteur enthousiaste, qui est vraiment la contrepartie de l'auteur et très souvent son plus secret rival, un livre mourrait. L'homme qui répand la bonne parole augmente non seulement la vie du livre en question mais l'acte de création lui-même. Il insuffle l'esprit aux autres lecteurs". 

De même, dès qu'un titre de livre contient le mot "confession", Henry Miller se sent aimanté par celui-ci. Par contre, certaines confessions célèbres dans la littérature classique n'ont jamais trouvé grâce à ses yeux. Henry Miller a bien essayé de lire "Les confessions" de Rousseau, sans jamais pouvoir le terminer. Il regrette que les classiques soient imposés aux jeunes lecteurs comme base de la connaissance et de la lecture. Selon lui, il serait sans doute plus judicieux de familiariser les jeunes avec les bons ouvrages de leur époque. La découverte des auteurs classiques doit être un plaisir - non une contrainte - qui doit se faire seul, en fonction de ses goûts personnels.
Henry Miller confesse que, bien avant l'écriture, la lecture représentait à la fois une volupté et un dangereux passe-temps. "Quand je regarde en arrière, il me semble que la lecture n'était rien de plus qu'un stupéfiant, qui stimulait d'abord, mais qui me déprimait et me paralysait ensuite".

"Lire aux cabinets" - seconde nouvelle - est plus axé sur les lieux de lecture accessibles au tout venant. Quel autre lieu commun, isolé et (relativement !!) tranquille nous offre un temps aussi précieux pour lire sans être dérangé, que les cabinets de toilette ? Enfant, Henry Miller s'est adonné aux joies de la lecture aux cabinets pour y dévorer ... les classiques interdits. En discutant avec des amis, il s'est ainsi rendu compte que la lecture aux toilettes pouvait être futile. "Ce que les gens emmènent pour lire aux cabinets, ce sont les digests, les magazines illustrés, les feuilletons, les romans policiers ou les romans d'aventure, tout le rebut de la littérature". Mais pas seulement. Certains lecteurs impénitents emportent de vrais pavés dans ces lieux d'aisance et s'y installent pour de vrais moments de lecture ; d'autres ne lisent que des ouvrages légers ; beaucoup tournent simplement les pages ... pour rêver et s'évader.
Henry Miller fait l'apologie de la lecture dans tous les lieux possibles, quels qu'ils soient, particulièrement dans les transports en commun, debout, dans des positions inconfortables et pressé par d'autres voyageurs.

"Lire aux cabinets" d'Henry Miller est un instant jubilatoire qui nous invite à partager les goûts littéraires et l'intimité d'un auteur mondialement connu pour ses ouvrages sulfureux. Aux fils des pages, on apprend comment il a découvert les joies de la lecture et aimé les livres. Il se dévoile tout en pudeur, en nous distillant des anecdotes et des souvenirs d'enfance et de jeunesse sur la littérature.

"[...] à mon sens, les raisons pour lesquelles nous lisons : un, pour nous délivrer de nous-mêmes ; deux, pour nous armer contre les dangers réels ou imaginaires ; trois, pour nous "maintenir à niveau" de nos voisins, ou pour les impressionner, ce qui revient au même ; quatre, pour savoir ce qui se passe dans le monde ; cinq, pour notre plaisir, ce qui veut dire stimuler et élever nos activités et pour enrichir notre être".

Publié dans Nouvelles étrangères

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L
Je l'ai terminé hier et j'avoue être moins élogieuse que toi. Sa réflexion sur la place des femmes au sein du foyer m'a énervée. Mais le pensait-il vraiment ou était-ce ironique ?
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K
tiens, moi j'ai lu : la dame qui aimait les toilettes propres.
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F
"La découverte des auteurs classiques doit être un plaisir - non une contrainte" et pourtant, hélas, à mon époque c'était comme ça et j'ai eu beaucoup de mal à me replonger dans ce genre de littérature. <br /> Lire aux cabinets, je le faisais souvent petite, amenant avec moi mes BD et autres magazines, mais pas des classiques ni des pavés, maintenant, je le fais moins depuis que j'ai un coin bien à moi où je peux m'isoler, par contre je n'arrive toujours pas à lire dans les transports en communs ni en voiture, le mal de coeur arrive bien trop vite !!
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N
C'est vrai ce que tu m'écris là, Florinette. On a toujours imposé les classiques en cours de français, ce qui avait pour seul objectif de nous les faire haïr pour le restant de nos jours. Certains ne veulent même plus en entendre parler, ni les lire. Et pourtant, ce sont parfois de magnifiques ouvrages, écrits de façon moderne ... Pour ce qui est de lire aux cabinets, je n'ai jamais pu m'y résoudre !!! Par contre, dans les transports en commun, dans le train, en avion, pas de problème. Je peux tout lire, y compris des pavés, mais c'est souvent la place qui me manque o)))
F
Moi aussi je l'avais repéré, je vais maintenant l'acheter rapidement et le lire dans la foulée. Cela donne l'eau à la bouche !
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N
Merci beaucoup, Freude, et bienvenue à toi sur mon blog de lecture ... Je ne saurais trop te conseiller de lire ce livre-bonheur qui est une vraie petite merveille et nous fait découvrir un auteur sulfureux sous un autre aspect ... celui d'un amoureux invétéré des livres, de la lecture, des bibliothèques. Je crois que ce petit investissement (2€ !!) vaut vraiment la peine o))
L
Bravo pour cet excellent article ! J'avais repéré ce livre il y a un certain temps, tu me donnes vraiment envie de le lire à mon tour !
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N
Merci beaucoup, Lou pour ce compliment qui me touche ... Il faut absolument le lire, car il est jubilatoire, merveilleux ... et parle de lecture, de livres et du bonheur que cette (dévorante !!) passion procure o))