Quand l'intégrisme broie les rêves
A quoi rêvent les loups - Yasmina Khadra
(Pocket n° 10979)
"C'est fini. Les prophétes nous ont lâchés. Nous sommes faits comme des rats. Tout chavire autour de nous. On dirait que le monde prend un malin plaisir à s'effilocher, à nous filer entre les doigts comme des volutes de fumée".
Voici l'histoire de Nafa Walid, jeune algérois dont le seul et unique rêve était de devenir une star de cinéma, surtout depuis qu'il avait décroché un petit rôle dans un film. Pour oublier sa misère quotidienne et familiale, Nafa avait tapissé les murs de sa chambre de posters de James Dean, Alain Delon ou Claudia Cardinale. Son espoir chevillé au corps, il fréquente le Lebanon, ancien café pour intellectuels censurés dans la perspective de rencontrer un réalisateur pour un nouveau rôle. "Il n'avait jamais été dans mes ambitions de décrocher le gros lot ou un poste de responsabilité dans une administration influente. Je voulais être auteur jusque sur mon lit de mort, me tailler une légende plus grande que ma démesure, postuler aux privilèges des dieux [...]".
Comme la gloire tarde à venir, Nafa trouve un poste de chauffeur de maître - homme des basses oeuvres - pour la famille Raja, grands bourgeois d'Alger. Il prend vite conscience que
son rêve ne deviendra jamais une belle réalité malgré les promesses, qu'il ne sera toujours qu'un cocher des temps modernes. En Algérie, l'ascenseur social descend, mais ne monte jamais. Le jour où Junior, le fils Raja, tue une adolescente d'une overdose, qu'il ordonne à Nafa et Hamid de se débarrasser du corps pour ne pas avoir de problème, qu'ils réduisent ce pauvre corps en charpie pour que personne ne la reconnaissance, Nafa comprend que ce monde n'est pas le sien. "Notre pays est un Etat de droit. C'est indéniable. Encore faut-il préciser de quel droit il s'agit ... Il n'y en a qu'un seul, unique et indivisible : le droit de garder le silence".
Dès lors, Nafa va trouver refuge dans la religion qui calme ses angoisses et ses doutes, qui laisse la place à une délivrance intérieure. L'appel du muezzin est comme un signe divin pour lui qui ne se sent plus seul et libéré de ses hantises. Et puis, il y a l'imam Younes qui sait le rassurer, le déculpabiliser de son passé de mécréant puisque Nafa a sur retrouver sa place,
qu'il est ressuscité des impies. Il trouve les mots justes qui touchent Nafa pour le convaincre de servir la cause du FIS. "Nafa Walid se lança corps et âme dans son nouvel emploi. Il avait conscience de son utilité. Il contribuait à la prise en charge des familles éprouvées par les déportations massives, et ce n'était pas n'importe quoi [...]. Il mesurait combien il était resté inactif, à l'heure où des frères désintéressés se dépensaient sur tous les fronts, et se devait de se rattraper".
Le poète Sid Ali - que Nafa aimait tant - tente bien de le prévenir des méfaits de certains discours faits à la mosquée. Il lui demande de ne pas croire ceux qui parlent de gloire éternelle, de sacrifices suprêmes. Mais il est déjà trop tard pour lui qui souhaite s'engager plus avant dans la lutte. Jusqu'au jour où il versera dans la violence extrême et le meurtre gratuit, au nom d'une cause que Nafa ne comprend pas toujours, dont il est étranger. Pourtant Nafa n'était pas un garçon violent, haineux. Il voulait juste vivre son rêve de gosse de la Casbah, devenir une star, être reconnu, adulé par des fans. D'ailleurs, la violence est partout présente dans le pays. On tue parce que certains refusent de se plier aux lois des intégristes, on massacre parce qu'on appartient aux taghout. On menace des familles entières. "Les vieux rangèrent
leur tabouret, renoncèrent à la djemaâ, au thé sur le trottoir, aux vertus du farniente [...]".
Grâce à "A quoi rêvent les loups" on comprend mieux tout ce qui s'est passé en Algérie dans les années 90, avec la montée du fanatisme religieux. A travers la vie et les espoirs du pauvre Nafa Walid, Yasmina Khadra nous raconte l'histoire de cette jeunesse désespérée, à l'avenir sans issue, qui a trouvé dans la violence radicale une raison d'exister, une façon amer d'exprimer son désarroi, sa colère face à un Etat souvent corrompu. Ce que ne savait pas cette jeunesse c'est que le fanatisme les broierait un jour, comme Nafa Walid l'a été. C'est à lire pour comprendre comment n'importe qui peut se laisser manipuler, endoctriner sans même s'en rendre compte.
(Pocket n° 10979)

Voici l'histoire de Nafa Walid, jeune algérois dont le seul et unique rêve était de devenir une star de cinéma, surtout depuis qu'il avait décroché un petit rôle dans un film. Pour oublier sa misère quotidienne et familiale, Nafa avait tapissé les murs de sa chambre de posters de James Dean, Alain Delon ou Claudia Cardinale. Son espoir chevillé au corps, il fréquente le Lebanon, ancien café pour intellectuels censurés dans la perspective de rencontrer un réalisateur pour un nouveau rôle. "Il n'avait jamais été dans mes ambitions de décrocher le gros lot ou un poste de responsabilité dans une administration influente. Je voulais être auteur jusque sur mon lit de mort, me tailler une légende plus grande que ma démesure, postuler aux privilèges des dieux [...]".
Comme la gloire tarde à venir, Nafa trouve un poste de chauffeur de maître - homme des basses oeuvres - pour la famille Raja, grands bourgeois d'Alger. Il prend vite conscience que

Dès lors, Nafa va trouver refuge dans la religion qui calme ses angoisses et ses doutes, qui laisse la place à une délivrance intérieure. L'appel du muezzin est comme un signe divin pour lui qui ne se sent plus seul et libéré de ses hantises. Et puis, il y a l'imam Younes qui sait le rassurer, le déculpabiliser de son passé de mécréant puisque Nafa a sur retrouver sa place,

Le poète Sid Ali - que Nafa aimait tant - tente bien de le prévenir des méfaits de certains discours faits à la mosquée. Il lui demande de ne pas croire ceux qui parlent de gloire éternelle, de sacrifices suprêmes. Mais il est déjà trop tard pour lui qui souhaite s'engager plus avant dans la lutte. Jusqu'au jour où il versera dans la violence extrême et le meurtre gratuit, au nom d'une cause que Nafa ne comprend pas toujours, dont il est étranger. Pourtant Nafa n'était pas un garçon violent, haineux. Il voulait juste vivre son rêve de gosse de la Casbah, devenir une star, être reconnu, adulé par des fans. D'ailleurs, la violence est partout présente dans le pays. On tue parce que certains refusent de se plier aux lois des intégristes, on massacre parce qu'on appartient aux taghout. On menace des familles entières. "Les vieux rangèrent

Grâce à "A quoi rêvent les loups" on comprend mieux tout ce qui s'est passé en Algérie dans les années 90, avec la montée du fanatisme religieux. A travers la vie et les espoirs du pauvre Nafa Walid, Yasmina Khadra nous raconte l'histoire de cette jeunesse désespérée, à l'avenir sans issue, qui a trouvé dans la violence radicale une raison d'exister, une façon amer d'exprimer son désarroi, sa colère face à un Etat souvent corrompu. Ce que ne savait pas cette jeunesse c'est que le fanatisme les broierait un jour, comme Nafa Walid l'a été. C'est à lire pour comprendre comment n'importe qui peut se laisser manipuler, endoctriner sans même s'en rendre compte.