Un américain à Paris
Paris est une fête - Ernest Hemingway (Folio)
Je l'accorde, le titre de l'article s'imposait de lui-même, par la période couverte d'une part - les années 1921 - 1928 - et le sujet traité, d'autre part - la vie d'Hemingway à Paris, alors jeune écrivain. J'avoue que Gershwin m'a été une bonne source d'inspiration dans ce cas-là. En dehors des influences jazz, il faut reconnaître que "Paris est une fête" est un livre à la confluence de la chronique et du roman. On y retrouve tout le talent de journaliste et de conteur d'Ernest Hemingway.
Tout au long de la lecture de "Paris est une fête", on sent son amour pour la ville éternelle, la ville lumière, celle des artistes et des bons vivants. On croirait presque qu'Ernest Hemingway a élevé un temple à ce bonheur disparu, pour se souvenir des beaux jours de sa jeunesse et de celle de la génération perdue, dont il sera le chef de file. On flâne avec lui le long de la Seine, dans les cafés des boulevards Saint-Michel et Saint-Germain, à Montparnasse, à la Closerie des Lilas. "La CLoserie des Lilas était, jadis, une café où se réunissaient plus ou moins régulièrement des poètes, dont le dernier, parmi les plus importants, avait été Paul Fort, que je n'avais pas lu. Mais le seul poète que j'y rencontrais jamais fut Blaise Cendrars, avec son visage écrasé de boxeur et sa manche vide retenue par une épingle, roulant une cigarette avec la main qui lui restait".
La Closerie des Lilas n'est pas le seul endroit où se pose Hemingway, lors de ses longues marches dans Paris Bohème. Les jours où l'argent rentrait un peu dans l'escarcelle, Hemingway s'offrait une bonne table chez Lipp. On le retrouvait parfois chez Michaud, restaurant chic et cher où Joyce et sa famille avaient leurs habitudes. C'est surtout au Nègre de Toulouse, sur le boulevard Montparnasse, qu'Hemingway descendait pour déguster le cassoulet local.
Hemingway ne passait seulement ses journées à boire et à manger. Au cours de ses ballades, il rencontre une foule d'artistes et d'intellectuels français et étrangers. Ainsi, lorsqu'il se rend au Dôme, Hemingway y retrouve Pascin, toujours entouré de charmants modèles, sans cesse ivre. "Avec son chapeau sur la nuque, il ressemblait à un personnage de Broadway, vers la fin du siècle, bien plus qu'à un peintre charmant qu'il était, et plus tard, quand il se fut pendu, j'aimais me le rappeler tel qu'il était ce soir-là, au Dôme". Outre son amitié avec Pascin, Hemingway liera une complicité particluière avec Gertrude Stein, qu'il rencontrera la première fois au Jardin du Luxembourg, un jour de disette. Personnage atypique avec ses humeurs et son franc-parler, Gertrude Stein n'hésite pas à prodiguer des conseils sur la qualité d'écriture de celui-ci. C'est elle qui, un jour de grande colère contre la société, le qualifiera de génération perdue.
Mais Hemingway se liera aussi d'amitié avec l'écrivain américain Ezra Pound, ainsi qu'avec Francis Scott Fitzgerald - auteur de "Gatzby le magnifique" - et sa femme, Zelda. Il assistera à la lente et sûre déchéance de ce couple infernal. "Il se mettait au travai et dès qu'il travaillait bien, Zelda commençait à se plaindre de son ennui et l'entraînait dans quelque beuverie. Ils se disputaient, se réconciliaient, et ils faisaient de longues promenades avec moi pour dissiper les effets de l'alcool et prenait la résolution de se remettre au travail pour de bon, cette fois, et il repartait du bon pied. Et puis tout recommençait".
Avec "Paris est une fête", on suit Hemingway au long des rues, grandes ou petites, des boulevards et des quartiers pittoresques qui ont fait la réputation de Paris. On partage avec lui les galères heureuses d'un jeune écrivain en devenir, curieux de tout ce qui se faisait, se créait, s'imaginait. On retrouve l'atmosphère de la librairie de Sylvia Beach, rue de l'Odéon - Shakespeare & Cie - repère de tous les intellectuels de langue anglaise perdus dans Paris. C'était le port d'attache de beaucoup de futurs grand écrivians de cette époque. On s'émerveille de sa découverte des auteurs classiques russes et de Georges Simenon, alors à peine connu. Il avait un sentiment de supériorité sur certains riches, malgré sa pauvreté relative, parce que, disait-il "nous mangions bien et pour pas cher, nous buvions bien et pour pas cher, et nous dormions bien, et au chaud, ensemble, et nous nous aimions".
C'est une promenade légère et intellectuelle à laquelle nous convie Hemingway dans ce livre posthume. Paris a été pour lui une parenthèse de bonheur et de félicité, d'enchantement et de découverte, malgré les difficultés matérielles. Il vouera un culte éternel à cette ville. "Il n'y a jamais de fin à Paris et le souvenir qu'en gardent tous ceux qui y ont vécu diffère d'une personne à l'autre. [...] Paris valait toujours la peine, et vous receviez toujours quelque chose en retour de ce que vous lui donniez".
ABC 2007