Le camp de son père
Mon père couleur de nuit - Carl Friedman
(Folio n° 3801)
"Il ne le nomme jamais par son nom. Ca s'appelait Trebibor, Majdawitz, Soblinka ou Birkenhausen. Il dit "le camp" comme s'il n'en avait existé qu'un seul. "Après la guerre, dit-il, j'ai vu un film sur le camp. Des prisonniers étaient en train de se faire frire un oeuf pour le petit-déjeuner". De la paume de la main, il se frappe le front. "Un oeuf ! dit-il d'une voix acérée. Dans le camp !". Le camp est donc un endroit où on ne se fait pas d'oeufs".
Hannah est persuadée que le camp est un état, comme une maladie ou un accident. Elle ne comprend d'ailleurs pas très bien pourquoi ni comment son père a attrapé le camp. Par contre, ce qu'elle sait, c'est qu'il est différent des autres pères. C'est sans doute pour cela qu'il a eu le camp. A la maison, tout le monde le trouve normal. Même s'il a contracté quelques tics avec son camp. Parce que le camp a non seulement marqué son visage, mais aussi ses doigts qui martèlent en permanence les rebords de la fenêtre, une table ou le bras d'un fauteuil. Ses pieds aussi ont été marqués par le
camp. Ils ne le laissent jamais en paix. "Et il a le camp dans les pieds. Au milieu de la nuit, ceux-ci se glissent hors du lit et l'entraînent par l'escalier au bout du couloir. Nous l'entendons de loin, ouvrir et fermer les portes, ne trouvant derrière aucune d'elles le calme qu'il recherche".
Le quotidien des camps, Jochel - le père d'Hannah - le fait vivre tous les jours, dès le petit-déjeuner à sa petite famille. Même ses rêves, ou plutôt ses cauchemars, sont imprimés de la vie du camp. Chaque nuit, il reconstruit une usine à lui tout seul. Il est capable de tout, le père d'Hannah, même de faire des ustensiles de cuisine et de les cacher sous ses aisselles. Il a rencontré tant d'hommes qui - comme lui - avaient le camp, qu'il a appris des tas de chansons. Quand il les chante, c'est comme s'il regrettais cette époque. Il faut dire qu'il s'y est fait pleins d'amis, au camp. "Il avait des amis, mais ils passaient la plupart de leur temps à porter des pierres et à pousser des brouettes très lourdes".
Même dans les histoires pour enfants, Jochen ne peut s'empêcher d'y mettre des morceaux de vie de son camp. En racontant à Simon, Hannah et Max le "Petit Chaperon rouge", l'histoire se travestit très rapidement en souvenir morbide.
La grand-mère a le typhus et elle est à l'infirmerie. Le loup est un chien méchant surgit du chenil .... et les enfants ne veulent pas connaître la fin prévue de la pauvre grand-mère. Et tranquillement, le camp s'installe dans le quotidien de chacun des enfants. Il les ronge et envahit leur vie d'enfant. Au point de calquer leur comportement sur celui du père.
Hannah ira enterrer ses jouets dans le jardin du voisin. Elle gardera tout de même Nounours avec elle. "Il n'y a que Nounours que je n'ai pas enterré Il sera gazé avec moi, même si c'est mauvais pour la santé. Pour qu'il s'habitue à l'idée, de temps en temps, je lui donne de grandes claques dans la figure [...]". Cette folie paternelle s'emparera aussi de Max, l'aîné des enfants. Il fait l'expérience des pieds gelés en les mettant dans le frigo. Comme il veut exister, il doit en subir les stigmates, comme son père.
Carl Friedman revisite la mémoire des rescapés des camps de concentration avec "Mon Père couleur de nuit". Elle réussit l'exploit de parler d'un sujet très lourd et très dur sur un ton (presque) léger. Carl Friedman a écrit là un roman d'une
force intense, très émouvant parce que l'histoire du père est vu sous le prisme déformant de sa petite fille - Hannah - qui ne comprend pas toujours très bien le pourquoi et le comment du récit paternel. Ce que l'on ressent par contre très bien, c'est le traumatisme de cette histoire sur une enfant très jeune. C'est un livre qu'il est bon de lire pour comprendre l'impact d'un récit aussi prégnant sur les plus jeunes et les risques de culpabilité et d'appropriation que cela peut faire naître chez les plus sensibles d'entre eux.
(Folio n° 3801)

Hannah est persuadée que le camp est un état, comme une maladie ou un accident. Elle ne comprend d'ailleurs pas très bien pourquoi ni comment son père a attrapé le camp. Par contre, ce qu'elle sait, c'est qu'il est différent des autres pères. C'est sans doute pour cela qu'il a eu le camp. A la maison, tout le monde le trouve normal. Même s'il a contracté quelques tics avec son camp. Parce que le camp a non seulement marqué son visage, mais aussi ses doigts qui martèlent en permanence les rebords de la fenêtre, une table ou le bras d'un fauteuil. Ses pieds aussi ont été marqués par le

Le quotidien des camps, Jochel - le père d'Hannah - le fait vivre tous les jours, dès le petit-déjeuner à sa petite famille. Même ses rêves, ou plutôt ses cauchemars, sont imprimés de la vie du camp. Chaque nuit, il reconstruit une usine à lui tout seul. Il est capable de tout, le père d'Hannah, même de faire des ustensiles de cuisine et de les cacher sous ses aisselles. Il a rencontré tant d'hommes qui - comme lui - avaient le camp, qu'il a appris des tas de chansons. Quand il les chante, c'est comme s'il regrettais cette époque. Il faut dire qu'il s'y est fait pleins d'amis, au camp. "Il avait des amis, mais ils passaient la plupart de leur temps à porter des pierres et à pousser des brouettes très lourdes".
Même dans les histoires pour enfants, Jochen ne peut s'empêcher d'y mettre des morceaux de vie de son camp. En racontant à Simon, Hannah et Max le "Petit Chaperon rouge", l'histoire se travestit très rapidement en souvenir morbide.

Hannah ira enterrer ses jouets dans le jardin du voisin. Elle gardera tout de même Nounours avec elle. "Il n'y a que Nounours que je n'ai pas enterré Il sera gazé avec moi, même si c'est mauvais pour la santé. Pour qu'il s'habitue à l'idée, de temps en temps, je lui donne de grandes claques dans la figure [...]". Cette folie paternelle s'emparera aussi de Max, l'aîné des enfants. Il fait l'expérience des pieds gelés en les mettant dans le frigo. Comme il veut exister, il doit en subir les stigmates, comme son père.
Carl Friedman revisite la mémoire des rescapés des camps de concentration avec "Mon Père couleur de nuit". Elle réussit l'exploit de parler d'un sujet très lourd et très dur sur un ton (presque) léger. Carl Friedman a écrit là un roman d'une
