Le retour du Messie
Le Messie de Stockholm - Cynthia Ozick
(Points n° P1376)
Critique littéraire presque sans lecteurs au journal suédois Le Morgonstörn, Lars Andemening est persuadé d'être depuis toujours un enfant adopté d'origine polonais, entré clandestinement en Suède. Il est convaincu que son père n'est autre que Bruno Schulz, juif polonais auteur de contes particuliers et du "Messie", chef d'oeuvre disparu. Son sentiment d'avoir sa place ailleurs, de s'être fabriqué lui-même, conduit Lars à se marginaliser dans sa vie privée et professionnelle, à vivre seul et librement et à apprendre le polonais pour mieux appréhender l'oeuvre de ce père totalement inconnu.
De plus, Lars est sûr et certain du talent de ce cher disparu. S'il avait vécu, Bruno Schulz aurait reçu le Prix Nobel de Littérature. Il ne pouvait pas en être autrement. "Son père était là chez lui, dans les ventricules de
l'Académie [...]. Son père était né pour faire partie de ce Panthéon - avec Selma Lagerlöf et Knut Hamsun ; avec Camus et Pasternak. Shaw, Mann, Pirandello. Faulkner, Yeats, Bellow, Singer, Canetti ! Maeterlinck et Tagore. [...] Son père, s'il avait vécu, aurait remporté le Grand Prix. Cela allait de soi. Il appartenait à cette compagnie magistrale".
Dans la banalité de son existence, Lars a une confidente - Heidi - Allemande et libraire au passé sombre. Elle sait tout ce qu'il sait sur son père spirituel. Il lui raconte la connaissance qu'il possède sur ce père putatif, sa ressemblance tant physique qu'intellectuelle. Au long de leurs rencontres dans la librairie déserte, Heidi devient petit à petit une associée de Lars dans son délire, sorte de passeuse du destin paternel. Elle aussi connait par coeur les oeuvres de Bruno Schulz pour les avoir lues. "Elle connaissait déjà intimement les livres de son père - ce n'était pas un tour de force, disait-elle, dans la mesure où l'oeuvre complète tenait en deux petits volumes. - Trois, disait Lars. N'oubliez pas "Le Messie". - Pas s'il est perdu. Il
n'existe pas. On ne peut pas compter ce qui n'existe pas".
Le problème c'est que "Le Messie" est l'obsession de Lars, au point de vouloir partir à la recherche de l'ouvrage qui a dû disparaître avec son auteur, un jour de 1942 quelque part en Pologne. Un soir, Lars apprend qu'il a une soeur, Adela, qui se prétend - elle aussi - la fille de Bruno Schulz et l'héritière de sa mémoire. "- Qu'a-t-elle dit ? Qu'a-t-elle dit exactement ? - Que l'homme qui a écrit "Le Messie" était son père. - Mais c'est mon père à moi ! cria Lars. Heidi rayonnait d'une félicité retorse. - Si le manuscrit n'existe pas, et si la fille n'existe pas ... - Vous savez qu'il n'y a pas de fille. - ... alors peut-être qu'il n'y a pas de fils non plus. - Mais je suis ici. Me voici. - C'est exactement ce qu'elle a dit, elle. Une énonciation biblique. Et elle est tout aussi convaincu que vous".
A la recherche de son "Messie" qu'il pense avoir
retrouvé, Lars ira de surprises en déconvenues. Il rencontrera le mystérieux docteur Eklund, mari de Heidi, tantôt psychanalyste, tantôt gastro-entérologue, qui lui certifie avoir aperçu Bruno Schulz à Paris en 1938. Il assistera à l'analyse de son "Messie" réalisé par le même étrange docteur Eklund dont Lars était sûr de son inexistence. Il lui confirmera que l'ouvrage est le vrai, le seul et l'unique. Lars aura bien du mal à comprendre ce qui lui arrive et sera perduadé d'avoir été manipulé par les trois personnages qui lui ont présenté "Le Messie" comme original. "C'est un faux, n'est-ce pas ? Mme Eklund, c'est un faux, avouez-le ! C'est un faux, et vous voulez que je le fasse passer pour un vrai. Que je le légitime pour vous. Comme c'est facile, je suis exactement l'homme qu'il faut pour le faire ! Pour le faire passer pour vrai aux yeux du monde, avouez-le !".
"Le Messie de Stckholm" de Cynthia Ozick laisse le lecteur quelque
peu pantois longtemps encore après la fin de sa lecture. Livre sur l'adoration ou la passion que l'on peut éprouver, ressentir envers un auteur, c'est aussi - en fond - un livre sur la manipulation, le mensonge, le passé arrangé. Chaque personnage possède une part d'ombre qui est souvent plus importante que la partie visible. Chacun cherche à cacher quelque chose aux autres protagonistes. On se demande tout au long de la lecture du "Messie de Stockholm" si ce n'est pas le lecteur que l'on veut manipuler, le perdre dans un imbroglio historique et psychologique. C'est un livre enlevé, drôle et profond à la fois, qui traite du délire sur un fond d'histoire de la Shoah.
ABC 2008
(Points n° P1376)

De plus, Lars est sûr et certain du talent de ce cher disparu. S'il avait vécu, Bruno Schulz aurait reçu le Prix Nobel de Littérature. Il ne pouvait pas en être autrement. "Son père était là chez lui, dans les ventricules de

Dans la banalité de son existence, Lars a une confidente - Heidi - Allemande et libraire au passé sombre. Elle sait tout ce qu'il sait sur son père spirituel. Il lui raconte la connaissance qu'il possède sur ce père putatif, sa ressemblance tant physique qu'intellectuelle. Au long de leurs rencontres dans la librairie déserte, Heidi devient petit à petit une associée de Lars dans son délire, sorte de passeuse du destin paternel. Elle aussi connait par coeur les oeuvres de Bruno Schulz pour les avoir lues. "Elle connaissait déjà intimement les livres de son père - ce n'était pas un tour de force, disait-elle, dans la mesure où l'oeuvre complète tenait en deux petits volumes. - Trois, disait Lars. N'oubliez pas "Le Messie". - Pas s'il est perdu. Il

Le problème c'est que "Le Messie" est l'obsession de Lars, au point de vouloir partir à la recherche de l'ouvrage qui a dû disparaître avec son auteur, un jour de 1942 quelque part en Pologne. Un soir, Lars apprend qu'il a une soeur, Adela, qui se prétend - elle aussi - la fille de Bruno Schulz et l'héritière de sa mémoire. "- Qu'a-t-elle dit ? Qu'a-t-elle dit exactement ? - Que l'homme qui a écrit "Le Messie" était son père. - Mais c'est mon père à moi ! cria Lars. Heidi rayonnait d'une félicité retorse. - Si le manuscrit n'existe pas, et si la fille n'existe pas ... - Vous savez qu'il n'y a pas de fille. - ... alors peut-être qu'il n'y a pas de fils non plus. - Mais je suis ici. Me voici. - C'est exactement ce qu'elle a dit, elle. Une énonciation biblique. Et elle est tout aussi convaincu que vous".
A la recherche de son "Messie" qu'il pense avoir

"Le Messie de Stckholm" de Cynthia Ozick laisse le lecteur quelque

ABC 2008