Souvenirs d'outre-tombe

Publié le par Nanne

        Requiem pour un paysan espagnol
          Ramon Sender
- (Babel n°25)




Image hébergée gratuitement chez www.imagehotel.net"Il s'attendait à voir arriver la famille. Il était sûr qu'ils viendraient - ils ne pouvaient pas moins faire - puisqu'il s'agissait d'une messe de requiem ; il la dirait pourtant sans qu'on la lui eût demandée. Mosén Millan pensait aussi que les amis du défunt viendrait. C'était bien ce qui faisait hésiter le curé. Presque tout le village avait été l'ami de Paco [...]".

Alors que Mosén Millan s'apprête à dire la messe de requiem pour Paco du moulin, le curé se souvient du jeune homme, et de son baptême. Parmi les centaines célébrés, c'est son baptême qui lui revenait en mémoire. Et particulièrement la richesse des vêtements de l'enfant, - luxe des gens de la terre - ainsi que les personnes nombreuses portant le deuil.

De même que le prêtre attend vainement la venue de la famille pour la messe, il se rappelle que
Image hébergée gratuitement chez www.imagehotel.netla famille de Paco n'était pas des plus bigotes du village. "[...] ils avaient gardé l'habitude de faire leurs pâques, et deux offrandes à l'église par an, l'une en laine et l'autre en blé, au mois d'août. Ils le faisaient plus par tradition que par dévotion, pensait Mosén Millan, mais ils le faisaient". Aussi, pour tenter d'attirer la famille vers la religion, Mosén Millan se rapprochera du petit Paco en le prenant comme enfant de choeur. Jusqu'au bout, le prêtre aura beaucoup d'affection pour l'enfant et l'adulte.

La prise de conscience de la pauvreté parviendra au jeune Paco le jour où il accompagnera l'ecclésiastique pour donner l'extrême-onction à un paysan pauvre vivant en marge du village, dans des grottes insalubres. Mosén Millan, démuni par le questionnement de cet enfant sensible à la souffrance humaine, lui avoue que - riche ou pauvre - la mort laisse tout un chacun seul et dépourvu. Cela est accru dans la grande misère. Paco tentera bien de s'insurger contre cette idée préconçue, mais en vain. "Paco dit qu'il allait prévenir les gens, pour qu'ils aillent voir le malade et aider sa femme. Il viendrait de la part de Mosén Millan et, ainsi, Image hébergée gratuitement chez www.imagehotel.netpersonne ne refuserait. Le curé lui dit que ce qu'il avait de mieux à faire était de rentrer chez lui. Quand Dieu permet la pauvreté et la douleur, dit-il, il a ses raisons".

En grandissant, Paco s'éloigenra un peu plus de Mosén Millan, tout en continuant à aller à la messe et en se confessant. Comme le prêtre s'était souvenu du baptême de Paco, il se remémorera avec la même acuité son mariage. Mais en Espagne comme ailleurs en Europe les temps changent et, - avec elle - la société civile. La république se mettra en place tant bien que mal après le départ du roi. La république porteuse d'espoirs pour des millions d'Espagnols vivant dans le dénuement et sous le joug d'une aristocratie encore toute puissante.

Les élections du village amèneront l'avénement de Paco et de quelques autres réformateurs au Conseil municipal. Ils seront tous résolus à faire avancer la société dans le bon sens et à supprimer les avantages terriens passés. Des meurtriers envahiront le village et feront régner la terreur sur les paysans de la Province. Par l'épouvante, les phalangistes espagnols annihileront toutes les aspirations sociales qu'avait fait naître la Frente Popular. Paco du Moulin n'y survivra pas. Mosén Millan ne l'oubliera jamais, en
attendant - inutilement - la famille pour la messe de requiem.

"Requiem pour un paysan espagnol" de Ramon Sender faitImage hébergée gratuitement chez www.imagehotel.net revivre l'impact tragique et destabilisateur de la guerre d'Espagne au sein de la société paysanne. Sans jamais vraiment la nommer, tout juste en la sous-entendant avec quelques scènes, l'auteur réussit l'exploit de nous raconter l'essentiel : la peur, la crainte, la souffrance, la délation, la collaboration, la contrainte. Ce livre - un classique de la littérature espagnole - nous entraîne dans les tréfonds de l'âme humaine et des meurtrissures de la société.

Publié dans Classiques étrangers

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S
Merci, Nanne! Je le lirai donc..
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N
<br /> Tu ne devrais pas le regretter, Sybilline ...<br /> <br /> <br />
S
Ton bel article me donne bien envie de lire Sender, du moins si le style et l'émotion sont à la hauteur de l'intérêt de cette histoire dans l'Histoire
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N
<br /> C'est un livre qui marque réellement le lecteur par la force de sujet et la puissance des personnages, Sybiline. Il est très souvent comparé à "L'ami retrouvé" de Fred Uhlman. Une très juste<br /> comparaison, d'ailleurs.<br /> <br /> <br />